Aude Minart: » Osez l’Afrique «
Fondatrice de la » galerie africaine « , galerie virtuelle installée sur le net et galerie nomade exposant dans divers lieux publics et privés, Aude Minart défend depuis une quinzaine d’année les œuvres d’artistes contemporains du continent africain. Rencontre à l’occasion de sa nouvelle exposition au titre engageant : » Osez l’Afrique « .
Qu’est-ce qui vous a motivé dans la création de la Galerie africaine?
J’ai vécu 5 ans en Afrique où j’étais journaliste pour la presse étrangère. Je fréquentais le milieu intellectuel qui se réunissait le soir. Parmi eux, des artistes venaient régulièrement. J’ai commencé à aller voir leurs ateliers et ça été pour moi une grande découverte parce que leurs œuvres n’avaient aucune visibilité hors des ateliers. J’ai été émerveillée par leur créativité. Ce que l’on voit dans la rue, n’a rien a voir avec ce que l’on voit dans les ateliers.
Quand j’ai arrêté le journalisme, travailler avec les artistes est devenu une évidence. Le constat a été assez facile compte tenu de la difficulté pour les artistes africains à exposer en France et du néant de la présence de l’art contemporain de tout un continent en Occident. J’ai décidé de relever le challenge qui répondait à deux intérêts : pour les artistes africains, d’exposer à l’étranger et pour le public français, de lui faire découvrir quelque chose de nouveau.
J’ai commencé par faire des démarches auprès des galeries où j’ai entendu des choses très désobligeantes voire insultantes sur le travail des artistes africains. J’ai donc décidé d’organiser des expositions chez moi.
Comment les artistes accueillent t-ils le principe d’exposer en appartement ?
A partir du moment où ils acceptent d’exposer chez moi, c’est qu’ils sont d’accord avec le principe. Recevoir les gens chez soi, implique un autre rapport entre l’artiste et le public. La confidentialité du lieu favorise l’échange personnel. Les gens sont reçus, ils ne font pas que passer et cela facilite la rencontre avec l’artiste – quand il est présent – et avec son travail. Dans ce contexte, la connivence s’installe plus facilement. Les gens prennent plus le temps de l’appréhender, de se familiariser avec l’œuvre. Mais je me suis rendue compte que ce travail doit être complémentaire avec une démarche vers le grand public. C’est pourquoi, je loue des espaces commerciaux comme le Viaduc des Arts, l’Hôtel Mezzara un chef d’œuvre d el’Art Nouveau, classé monument historique à Paris qui donne la possibilité d’élargir le public et de faire venir des gens qui ne viennent pas forcément en appartement.
Vos choix sont assez éclectiques et les artistes que vous exposez ont recours à divers supports. Quels sont vos critères de sélection ?
Je fonctionne souvent au coup de cœur. J’expose les oeuvres que j’aime et que je peux donc défendre. Le but étant de faire découvrir ces artistes et de vendre leurs œuvres. D’autre part, je sélectionne les artistes qui font un véritable travail de professionnel, qu’ils sortent des Beaux-Arts, qu’ils aient reçu une autre formation ou qu’ils soient autodidactes. C’est leur professionnalisme, leur implication, leur créativité en plus du talent qui priment dans le choix des artistes que j’exposeLa taille des œuvres est aussi devenue également un critère dans la sélection. Certaines œuvres sont monumentales ce qui d’une part complique la logistique d’acheminement et d’exposition et d’autre part rend leur vente plus difficile. Cela pourrait intéresser des institutions par exemple, mais encore faut-il établir un réseau qui soit solide et qui s’engage concrètement vis-à-vis de l’Afrique contemporaine.
Vous vous rendez régulièrement en Afrique pour rencontrer des artistes. Ce qui vous pousse, c’est la découverte de nouveaux talents ?
Le sens premier de mon travail c’est la découverte et la rencontre. Cela implique un investissement matériel et personnel. Je ne veut pas me contenter comme c’est souvent le cas de sélectionner des artistes de la diaspora parce qu’ils sont plus faciles d’accès ou de choisir leurs œuvres par le biais de supports comme les catalogues ou Internet. Ma démarche consiste, dans la mesure du possible, à aller à la rencontre des artistes. Quand je suis dans un pays, comme le Congo, le Cameroun ou le Sénégal, j’essaye de voir le plus d’ateliers possible, que les artistes soient connus ou non. Sur place, le bouche à oreille fonctionne bien mais il peut être à double tranchant. Les artistes se connaissent entre eux et quelque fois par amitié me font rencontrer plus des amis que des artistes de grande qualité ! Parfois, j’ai de bonnes surprises mais je ne vois pas que du bon. Il peut y avoir une bonne œuvre d’un artiste qui restera sans suite. C’est là où il faut savoir déceler celui qui travaille sur la continuité.
Votre démarche envers un artiste s’inscrit-elle dans une perspective sur le long terme ?
Désormais, oui. Quand j’ai commencé, j’étais dans l’instantané. Avec le temps, je suis devenue plus rigoureuse. Mon approche a évolué et un nouveau critère de sélection s’est imposé. Il n’y a pas que l’œuvre. Il y a aussi quelqu’un derrière. Pour défendre le travail d’un artiste, il faut avoir une relation de confiance avec lui. Sa personnalité et sa démarche rentrent en ligne de compte. Au delà de l’œuvre, je considère aussi l’artiste en fonction de ce qu’il a fait, de l’évolution de son travail, de ses « périodes » et de tous ses projets, c’est pourquoi il me semble primordial d’aller le voir dans son atelier. . Dans la mesure où je travaille avec un artiste dans une perspective de long terme, il faut que lui aussi s’engage à régulièrement mettre ses meilleurs œuvres à disposition de la galerie.
Parallèlement à votre travail d’exposition, jouez-vous également le rôle d’agent?
Je ne signe pas de contrat d’exclusivité avec les artistes. Lorsque je représente un artiste c’est avec son accord. Tant qu’il n’est pas connu, je lui conseille de ne pas se lier avec une seule personne mais de multiplier ses réseaux pour se faire connaître et vendre. Mon réseau » classique » se situe à Paris, Bruxelles, en Bretagne et dans le Sud. Prochainement je vais exposer à ArtMadrid, un salon d’art contemporain qui se déroule parallèlement à ARCO (Salon international de l’art contemporain).
Depuis vos débuts, avez-vous senti une évolution dams le regard du public ?
Lorsque j’ai commencé, il n’y avait pas eu de grandes expositions d’art contemporain africain à Paris. Peu d’espaces sont ouverts à cet art. Le musée Dapper expose des artistes contemporains, mais dans une petite salle attenante à l’espace d’exposition qui reste dévolue aux arts traditionnels. D’une certaine façon, la situation s’est aggravée depuis mes débuts dans ce milieu. Certaines personnes qui avaient comme moi privilégié les expositions en espace privé ont arrêté faute de moyens.
Bien sûr il y a eu l’exposition Africa Remix à Beaubourg mais y a t-il eu des retombées réelles pour les artistes ? En France le milieu reste cloisonné.
Certains disent que le Musée du Quai Branly – bien qu’il soit voué aux » arts premiers » – va susciter une émulation, éveiller la curiosité des gens et les attirer vers le contemporain.. Tant mieux si ça marche, mais je suis un peu sceptique. La France est à la traîne sur l’art contemporain en général donc encore plus concernant l’Afrique.
Comment pensez-vous vous démarquer de ce « système » de cloisonnement?
Je ne prétends pas à ça, j’essaye d’instaurer un rapport de proximité. Ma passion c’est la rencontre et l’échange donc je m’inscris dans une autre démarche. Je tiens à mes recherches sur le continent car elles me permettent d’exposer des œuvres qu’on ne trouve pas forcément en France. J’aime la diversité et elle me pousse à sortir des sentiers battus et donc à prendre des risques.
Je suis parfois frustrée de voir à quel point les choses restent cloisonnées. Les artistes hors réseau n’ont pas de visibilité. Il faudrait que le milieu soit plus structuré. Ceux qui peuvent le mieux s’en sortir sont ceux de la diaspora car il connaissent le système et naviguent entre deux espaces géographiques.
Si les différentes initiatives privées se fédéraient, l’émulation que cela susciterait ne pourrait-elle pas déboucher sur de nouveaux projets ?
Encore faudrait-il qu’elles existent et qu’il y en ait plusieurs ! Cela signifierait que le marché est mûr. Ce qui n’est pas le cas. Je ne demande qu’à être rejointe dans mon projet, mais les initiatives privées sont rares et elles ont surtout du mal à se pérenniser.
Les collectionneurs d’art contemporain africain ne sont pas nombreux et une fois qu’ils ont la possibilité d’accéder directement aux artistes, ils n’ont plus besoin d’intermédiaires. C’est un réel écueil.
Avez-vous le sentiment que le marché de l’art africain contemporain est anarchique ?
Complètement ! Le prix des œuvres varie selon le contexte et les collectionneurs. Arriver en Afrique après le passage d’un riche collectionneur américain, est terrible ! les prix sont faramineux. A l’inverse en cas de besoin et d’obligations familiales, la nécessité faisant loi, certains artistes finissent par terriblement baisser le prix de leurs œuvres (avec certains acheteurs locaux ou amis) même quand ils ont acquis une certaine reconnaissance.
Quel est le profil des collectionneurs ?
Un certain nombre d’entre eux acquièrent des œuvres pour leurs entreprises. D’autres pour eux même. La majorité d’entre eux ont un rapport spécifique à l’Afrique, ils sont sensibilisés au continent africain qu’ils connaissent bien et ils sont réceptifs au travail des artistes. Certains collectionneurs constituent leur collection autour d’un thème particulier comme le portait et la complètent en me sollicitant dans ce sens. Les collectionneurs avertis dans une société mondialisée ne peuvent faire l’impasse sur un continent entier, l’Afrique reste à découvrir à travers ce qu’elle a de mieux à donner et en premier lieu sa créativité.
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