Asie histoire chinoise et poésies
La carpe et le pécheur.
Dans un étang vivait une carpe, en compagnie de brèmes, de gardons, de brochets et de perches. Une petite rivière alimentait cet étang et emmenait dans ses eaux, toujours plus de nouveaux de locataires ; pour un temps ceux ci y résidaient, puis ils repartaient, suivant leur bon plaisir. La carpe, elle, y demeura.
Un honnête homme, amoureux de la nature, y venait pêcher. Notre homme connaissait bien son étang, des berges jusqu’au fond de l’eau, du plus petit des brins herbes, aux plus gros des insectes . Il connaissait tous les secrets de la faune et la flore qui y vivait. Aucun oiseau ne lui était étranger.
Il fit l’acquisition d’une petite barque en bois. Ainsi il put admirer le charme de la brume du matin, ce rideau de fumée qui souvent attendait sa venue. Sa façon de faire était toujours la même, à tâtons de la berge, il poussait sa barque dans l’eau, montait dedans se rétablissait, s’asseyait , pour se baisser, et ensuite inéluctablement, il cherchait sa rame, du bout des doigts, la saisissait, puis doucement il se redressait, la plongeait dans l’eau presque sans bruit juste un petit clapotis, une fois à droite une fois à gauche et dirigeait sa barque ainsi à son gré, jusqu’à l’endroit choisi. Il attendait, que le brouillard se dissipasse, offrant le merveilleux spectacle de la vie. Enfin il commençait sa pêche.
Il fut témoin du cycle des saisons, le printemps quand commençait le vol stationnaire des premières libellules, les chaudes après- midi d’été où se prélassaient sur la rive quelques lézards inquiets, la tristesse du saule qui pleure ses feuilles à l’automne, la morsure du froid de l’hiver quand il plongeait ses mains dans l’eau glacée.
Mais l’objet de toutes ses préoccupations, c’était la carpe, cette coquine, qui n’avait encore jamais mordu l’hameçon. Elle ondulait, nageait calmement, s’approchait, de sa barque, passait ses lèvres hors de l’eau, faisait sa bulle mais toujours, repartait indifférente et royale.
Il avait tout essayé, les appâts, les leurres et nombreuses sortes d’hameçons, mais rien n’y faisait.
Le jour comme la nuit, la carpe le poursuivait de ses baisers mouillés. Dans ses rêves, dans ses pensées, dans sa vie, elle était toujours présente, mais invariablement insaisissable. Comment l’attraper, comment enfin l’attirer à lui, la saisir ? Il persévéra dans cette terrible obsession pendant des années avant d’y renoncer définitivement.
Au fil du temps, s’était établie une sorte d’amitié entre le pêcheur et la carpe. Aussitôt sa barque était-elle mise à l’eau, que cette dernière passait et repassait pour s’évanouir soudain dans les profondeurs et réapparaître de nouveau comme par magie. Parfois elle frôlait la barque comme pour demander une caresse improbable.
Les années passèrent le pêcheur était devenu vieux et malade, il restait chez lui au chaud, sa barque pourrissait à demi- immergée, le nez dans la vase. Un jour il se sentit mieux, il décida de se rendre à l’étang, s’habilla chaudement, prit quelques provisions, les mit dans sa besace, et partit sans canne à pêche ni même un filet.
Arrivé au pied de sa barque, il s’assit sur l’un des rebords encore resté solide. D’un filet d’onde, la carpe s’approcha, difficilement il se baissa et s’accroupit, mit ses deux mains dans l’eau, les rapprocha comme un coussin, fit un creux et doucement la carpe y prit place, il la souleva presque entièrement, la regarda un instant et la replongea délicatement dans l’eau. La carpe resta immobile, il retira ses mains de l’eau et d’un coup de nageoire elle disparue .
Notre honnête homme se releva rayonnant. Son vœu le plus cher s’était enfin réalisé.
JPB .
Ajouter Un Commentaire